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« L’ÉTAT RÉSEAU MET L’ACCENT SUR LA SUBJECTIVITÉ DE L’ARMÉNIE » : UNE APPROCHE NOUVELLE À LA RELATION ARMÉNIE-DIASPORA

Plusieurs initiatives pan-arméniennes qui visent la formation de l’idéologie nationale, ont vu le jour après la défaite de la deuxième guerre d’Artsakh. La prise de conscience des lacunes fondamentales dans le système étatique de l’Arménie est abyssale dans presque tous les milieux sociaux. La formation d’une nouvelle élite arménienne en synergie avec la puissance intellectuelle de l’Arménie et de la diaspora serait la seule garantie de l’éveil national dans cette lutte pour la survie et la renaissance de l’Arménie, dont l’existence même est actuellement menacée.

Nous présentons aujourd’hui l’initiative « Etat réseau » avec son fondateur, Vahram Ayvazyan, spécialiste des relations internationales. Etat réseau est un modèle qui se projette en tant qu’un nouveau pont entre l’Arménie et la diaspora et qui vise à concentrer toute la puissance intellectuelle et financière pan-arménienne en faveur de l’éveil et le renforcement de l’Arménie.

Par Luciné Abgarian

Quel est le concept de l’Etat réseau, quelle est sa vision et les objectifs ?

L’État réseau est le pont Arménie-diaspora qui unit les ressources financières et intellectuelles de l’Arménie et de la diaspora. Je pense que pendant de nombreuses années, nous avons travaillé sur le mauvais point – uniquement les ressources financières – ce qui a conduit à un tel résultat honteux. Autrement dit, nous devons travailler sur l’intellectuel, car l’intellectuel c’est ce qu’il y a de plus précieux à notre époque. La philosophie principale de notre initiative – tout pour l’Arménie, avec une structure centrée sur l’Arménie. Notre réseau doit se répandre dans le monde entier, mais cela doit être clair que l’Arménie en est bien le centre. En d’autres termes, l’État réseau met l’accent sur la subjectivité de l’Arménie.

L’État réseau compte 23 départements et autant de chefs de départements. Notre objectif ultime et principal, c’est la formation d’une élite militaro-politique pan-arménienne, car nous ne l’avons pas eue depuis de nombreux siècles, et c’est pourquoi nous sommes confrontés à ce fond brisé. C’est pour cette raison que cette élite qui doit déterminer le vecteur du développement de l’Arménie, et des Arméniens du monde.

Nous sommes une formation politique, mais sans-parti. Malheureusement, les larges masses du peuple arménien ont une perception négative de ce mot, parce que quand vous dites « politique », ils imaginent immédiatement une lutte pour le pouvoir, une lutte des partis. Nous avons créé un environnement laïc, parce que nous essayons d’attirer les amis du peuple arménien, car malheureusement depuis 1000 ans, nous n’avons pas compris qui sont nos amis, qui sont nos ennemis… Nous n’avons pas de fanatisme religieux pour travailler avec les pays arabes, d’autant plus que nous pouvons assurer un flux important d’investissements en provenance de ces pays.

Nous avons environ 230 membres. Tout d’abord, nous travaillons sur la révélation des problèmes, car il semblait que tout était clair, tout le monde connaissait les problèmes de l’Arménie, mais ce n’est pas le cas. Les problèmes de l’Arménie sont beaucoup plus profonds que je ne l’imaginais.

Prenons, par exemple, la formation de cet « institut du sauveur ». C’est l’un de nos problèmes les plus importants. J’essaie de diviser l’histoire arménienne en périodes, l’une – avant 301, l’adoption du christianisme, l’autre-avant 1045 ou 1375, la chute de l’Arménie bagratide ou la chute de l’Arménie cilicienne, la troisième-jusqu’à aujourd’hui, la défaite honteuse de la deuxième guerre d’Artsakh.

Je peux tirer la conclusion suivante : avant 301, nous avions un Etat profond, cela peut sembler étrange pour beaucoup de personnes, mais cette classe sacerdotale était le centre intellectuel même qui tentait à esquisser le vecteur politique de la Grande Arménie. De 301 à 1045 ou 1375, nous avions une église, une cour royale, des maisons ministérielles. Après la chute de la cour royale, les maisons ministérielles ont été physiquement détruites, l’église ne pouvait pas ou ne voulait pas assumer cette fonction politique, le rôle d’un État profond.

L’église n’a pas pris le relais, la cour royale et les maisons ministérielles ont été détruites après les invasions des Mongols et des Turcs. Ne sont restés que des individus : Hovsep Emin, Israel Ori, Movsès Sarafian, Shahamir Shahamirian, etc. Ces gens ont commencé à écrire les formules du salut, ils ont commencé à chercher le salut dans les pays étrangers, car ils ont vu que la pensée politique à l’intérieur du pays était détruite. En d’autres termes, n’étant pas en mesure de nous organiser, nous avons commencé à demander l’aide de dirigeants étrangers. Par exemple, Hovsep Emin se rend au Palatinat rhénan pour demander des soldats, ou Matthieu Hovhannès se rend à Venise pour demander de l’aide.

Il existe de nombreux exemples de ce type, mais cela a néanmoins conduit à une coutume politique très dangereuse, une catastrophe, qui est aussi l’une des causes du génocide, car quand on voit que la nation ne s’auto-organise pas, cette nation vit une régression, la nation devient peuple, et il recule.

Car la nation est un groupe de personnes remplissant une fonction politique. Je pense que nous sommes descendus de la « nation », précisément parce que nous ne pouvions pas nous organiser, nous avons frappé à une porte étrangère et nous avons attendu ce sauveur, l’« institution du messie » politique qui allait venir et sauver. La même chose qui s’est produite pendant le génocide arménien, se passe actuellement.

Les pays étrangers ont des agents, des services spéciaux, qui ont compris notre problème, notre défaut, notre point faible, et ils en jouent. Par exemple, les services spéciaux russes sont occupés à créer le modèle « ancien-actuel », ils ont également des départements de parapsychologie, cela fonctionne clairement. Changer le gouvernement ne résoudra pas le problème, ce problème est très profond, car un système n’a pas été créé en tant que tel. Lawrence d’Arabie disait qu’il ne fallait pas permettre aux Arméniens de créer leur propre système, l’État, car il serait difficile à le détruire. Je parle de vrais Arméniens, dotés des valeurs arméniennes en me référant à l’épopée, non pas aux Arméniens à la Msra Melik.

En 1991, on nous a donné notre indépendance sur un plateau, et rien n’a été entrepris pour annuler le traité de Moscou, ce qui, je pense, est l’une des raisons de notre situation catastrophique, car on est devenu indépendant, successeur de la Première République, et au lieu de déclarer que nous avons été une colonie de l’Union soviétique, nous l’avons accepté. Cela conduit au fait que l’Arménie n’a pas son propre vecteur de politique étrangère indépendant, cela conduit à cette situation. Je pense que la destruction de cet « institut du sauveur » devrait nous apporter des résultats.

La solution est que l’Arménie et la diaspora doivent créer un système solide, qui mettra sur une base institutionnelle les Arméniens du monde, qui dirigeront le pays avec puissance dure (hard power) et douce puissance (soft power), avec attractivité. Machiavel disait qu’un bon dirigeant doit être aussi puissant qu’un lion, aussi rusé qu’un renard, pour vaincre un loup, pour tromper un serpent. Nous devons l’être.

C’est le but ultime de l’Etat réseau, l’union de l’entité militaro-politique, des gens qui ont le potentiel intellectuel qui peuvent clairement dessiner le vecteur de ce développement politico-économique, que, malheureusement, nous n’avons pas. La République d’Arménie mène une politique opportuniste.

L’Etat réseau a été créé pour cette raison. Quand nous voyons qu’il n’y a pas de pensée institutionnelle systématique, nous nous rendons compte que nous devons commencer par nous-mêmes. Ce sont ces départements qui sont appelés à révéler les problèmes en premier, à rédiger les doctrines. Je pense que cela a suscité l’intérêt de beaucoup de gens qui voient que ce ne sont pas une ou deux personnes qui prononcent de discours ici, mais notre expansion est ciblée, c’est-à-dire, ce sont des personnes qui ont la mentalité de startup d’opérer dans des situations incertaines, qui nous aideront à construire des départements. Par exemple, le département de l’Industrie fait beaucoup de choses intéressantes, en essayant de créer un ebay arménien à partir de zéro.

Pourquoi cette initiative est-elle née immédiatement après la guerre ?

Mais avant la guerre, qui aurait compris que notre État est dans un état aussi honteux???

Je suis désolé de déclarer, à l’attention de la diaspora arménienne, que la République d’Arménie était tout au long de ces trente années qu’une décoration, qu’elle n’avait aucun contenu. C’est le plus gros problème, car nous pensions que nous avions des institutions, que nous payions des impôts pour qu’elles fassent leur travail, mais en réalité, elles ne l’ont pas fait. Même l’armée, qui est une valeur absolue pour nous aujourd’hui, car elle est la garante de notre sécurité et que personne n’essaie de la discréditer, mais même l’armée n’a pas atteint une structure institutionnelle, elle était basée sur des individus. Nous avons un problème avec l’approche systémique.

Pendant la guerre, j’ai écrit deux articles, j’ai essayé de passer le message au ministère des Affaires étrangères, au Président, au Premier ministre pour qu’ils contactent les blocs anti-turcs, mais il n’y a pas eu d’écho important.

C’est après la guerre que j’ai réalisé que ces 30 années étaient fausses, qu’il n’y avait pas de contenu, il n’y avait que de la forme, il n’y avait pas de pont Arménie-diaspora, c’était une décoration. Au cours de ces 30 années, j’ai réalisé qu’aucun tube intellectuel n’avait été créé avec la diaspora. Et nous, ayant des physiciens fantastiques, des chimistes à l’étranger, « recevons » du phosphore sur nous, dans le cas où nous avons des physiciens atomiques. C’est une catastrophe. La nation qui a fait naître Hambardzumyan et Mergelyan ne peut pas « recevoir » le phosphore. Cela parle d’un échec systémique.

Un tournant devant être fait immédiatement, le travail de l’Etat réseau a commencé vers la mi-février 2021.

Quels sont les domaines de conpétence de ces 23 départements ?

Comme les ministères de n’importe quel État, nous avons essayé de donner cette structure. Nous avons un département des affaires étrangères, un département de l’industrie militaire, un département de la défense. Par exemple, il y a une subdivision intéressante au ministère de la Défense, la subdivision nommée Défense des compatriotes de la diaspora, c’est-à-dire que nous travaillons pour que les Arméniens du monde, où qu’ils soient, se sentent protégés. C’est très difficile en réalité et il faut créer un système pour cela.

Nous avons un département de l’Agriculture, un département de la Santé, un département de la Justice, etc. L’un de nos plans est de créer une banque entièrement arménienne, mais comme la création d’une banque est une chose très difficile, nous essayons maintenant de créer un fonds de capital-risque pan-arménien, nous avons déjà des discussions. Il doit devenir l’une des institutions arméniennes les plus importantes pour que le capital pan-arménien se rassemble en un seul endroit. L’avantage d’un fonds de capital-risque est qu’il peut créer de l’argent à partir de l’argent.

Par exemple, au département des Affaires étrangères, nous avons une subdivision spéciale qui vise le changement dans le système de sécurité extérieure, parce que l’accord arméno-russe a échoué, il a montré qu’il n’est pas en mesure de protéger la sécurité du peuple arménien. Nous devons changer ce système clairement et sans crainte. Les lignes rouges doivent être clairement présentées, il faut les dire clairement, dire ce que nous voulons et mettre un point. Si on ne le présente pas, les gens penseront que nous sommes prêts à faire de la commerce. Nos compatriotes doivent comprendre cela et ne pas avoir peur. Nous avons très peur, nous n’attaquons pas. Si nous ne montrons pas clairement nos objectifs cristallisés, alors il est clair que Putoghan (Poutine +Erdogan) ou tout autre système, nous mènera dans l’abîme, et fera de l’Arménie une réserve qui n’a aucune chance d’interagir avec le monde extérieur : avoir un drapeau, une équipe de football, mais pas de poids.

L’Etat réseau en est venu à dire clairement que nous voulons cette fin, nous sommes là, nous sommes prêts à faire des efforts. Et les diplomates que je rencontre régulièrement constatent qu’il existe une équipe qui cherche à créer un système cristallisé avec lequel ils peuvent travailler. La formation de cette élite pan-arménienne aidera ensuite les bons fonctionnaires de l’État.

J’appelle tout le monde en Arménie et dans la diaspora à se débarrasser de leurs intérêts personnels étroits et ambitieux, à comprendre que c’est le système qu’il faut créer, qu’il n’y a personne ici pour dire qu’il a des avantages. Il n’y aura pas de sauveur, chacun de nous doit être un sauveur. C’est ce que nous devons comprendre, que nous devons prendre nos responsabilités. Par exemple, si je travaille 8 heures en France, il faut que je travaille 2 heures pour l’Arménie. Avançons pour le bien de l’Arménie, sinon il sera trop tard bientôt.

Quelles actions mène actuellement l’Etat réseau pour la libération des prisonniers de guerre et la reconnaissance du génocide ?

Lors de notre rencontre avec Baronesse Caroline Cox, elle m’a dit qu’elle cherchait un filet international pour traîner l’Azerbaïdjan devant les tribunaux. Nous les soutiendrons de toutes les manières dans le processus qui mènera l’Azerbaïdjan devant la Cour pénale internationale. Toutefois, nous essayons de prendre d’autres mesures. Après la guerre, quand les Azéris ont commencé à traiter cruellement les prisonniers de guerre, j’ai publié un message suggérant que les informaticiens arméniens identifient ces personnes, les terroristes azerbaïdjanais, qu’ils créent une base judiciaire afin que des mesures punitives puissent être prises plus tard. Si vous punissez des bêtes sanguinaires, cela signifie que vous êtes un système attractif, un état attractif, vous êtes protégé en tant que citoyen. Et nous, nous n’avons même pas pu amener Safarov en Arménie ! Autrement dit, nous n’avons pas encore compris la puissance douce, le modèle de l’attractivité. Ces criminels doivent être identifiés et dénoncés au niveau international.

En ce qui concerne la reconnaissance du génocide, en tant qu’ancien membre de l’Association internationale des spécialistes du génocide, ayant une certaine formation en études du génocide, je peux dire que le génocide n’est pas seulement un facteur juridique, mais aussi un élément politico-géopolitique. Nous avons perdu l’Artsakh, notre facteur géopolitique le plus sérieux, il nous reste seulement la pression exercée pour reconnaître le génocide. Nous devons utiliser ce facteur. Cela semble très cruel, car 1,5 million de personnes sont mortes, mais pour que vous puissiez maintenir votre poids dans les relations internationales, vous devez être en mesure d’assurer la tranquillité d’esprit de ces personnes, il faut devenir plus fort, et pour devenir plus fort, il faut aussi utiliser le facteur de la reconnaissance du génocide.

Nous devons comprendre que la vérité est de notre côté, nous devons être exigeants. Nous avons lancé une campagne le 20 avril, qui consistait en 12 points, elle a été traduite en 12 langues, également en turc, et elle a été envoyée à plusieurs membres du parlement turc, à la presse turque, à Davutoglu. Elle a également été envoyée aux missions diplomatiques de 111 en Arménie et à l’étranger. J’ai eu des réunions avec des représentants diplomatiques.

La perspective de pénalisation de la négation du génocide et l’annulation des accords de Moscou et de Kars sera continuée. C’est notre ligne rouge claire. Nous ne demandons pas la reconnaissance, mais nous demandons la pénalisation de la négation. Si la négation de l’Holocauste est pénalisée dans presque tous les pays du monde, la négation du génocide arménien doit l’être également.

Pour avoir une connaissance approfondie sur l’initiative d’Etat réseau :

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